EHVI
 

Axe 3 : « Normes et valeurs du vivant »

L’enquête sur l’homme vivant, en refu­sant de pos­tu­ler une concep­tion anthro­po­lo­gi­que comme « allant de soi » (qui consi­dé­re­rait l’homme comme un donné, ou un pur pro­duit), tente d’aper­ce­voir com­ment l’humain se cons­ti­tue pro­gres­si­ve­ment comme tel par une accu­mu­la­tion de com­pro­mis dans l’action qui font son his­toire. Ainsi, à partir de l’inte­rac­tion cons­tante avec son milieu par laquelle l’orga­nisme survit et s’épanouit en santé, la condi­tion humaine est envi­sa­gée à tra­vers des cas concrets (le han­di­cap ou la vieillesse1, par exem­ple) dans sa ten­sion si carac­té­ris­ti­que entre puis­sance et fra­gi­lité – ten­sion qui lui vient de sa réa­lité orga­ni­que.

La mala­die montre assez que les règles de fonc­tion­ne­ment de l’orga­nisme – pour rigou­reu­ses qu’elles soient – ne sont pas des lois, mais des normes vita­les, c’est-à-dire des exi­gen­ces fonc­tion­nel­les labi­les (sou­ples, et par là robus­tes) pour main­te­nir autant que pos­si­ble un équilibre homéo­sta­ti­que en toute situa­tion. Dès lors, si la santé est bien le plein exer­cice de cette nor­ma­ti­vité (tolé­rer les écarts du milieu en les anti­ci­pant pour mieux les com­pen­ser), cette acti­vité passe par un effort de vivre, par­tant par un désir de vivre : « l’élan vital »2 repré­sente, selon le psy­chia­tre Eugène Minkowski, cette pro­jec­tion de l’homme vivant dans l’ouver­ture tem­po­relle de son avenir – la valeur qui le meut parce qu’elle pola­rise son acti­vité, depuis les fonc­tions les plus orga­ni­ques3 en lui, jusqu’aux idéaux éthico-poli­ti­ques qu’il défend par sa culture.

Plus par­ti­cu­liè­re­ment, d’un point de vue géné­ti­que, le pro­ces­sus d’homi­ni­sa­tion ne se laisse-t-il pas décrire comme le dépas­se­ment et le redou­ble­ment d’une nor­ma­ti­vité pure­ment vitale (l’homéo­sta­sie, l’inte­rac­tion avec le milieu) par une nor­ma­ti­vité sociale (retra­vail des normes socia­les par l’acti­vité vitale des sin­gu­la­ri­tés en deve­nir) ? Quelle serait alors l’arti­cu­la­tion entre rup­ture et conti­nuité, lors­que les pra­ti­ques du corps assu­rant sa via­bi­lité pren­nent le relief d’une signi­fi­ca­tion cultu­relle ? Ou pour le dire encore autre­ment : que se passe-t-il lors­que le verbe « vivre » pro­longe (chez l’humain seul) son accep­tion stric­te­ment bio­lo­gi­que par une accep­tion exis­ten­tielle ? Comment les normes et les valeurs de l’animal (santé) génè­rent, ins­pi­rent et moti­vent les normes et les valeurs de l’homme vivant – plu­riel­les, inter­pré­ta­ti­ves et pré­ten­du­ment trans­cen­dan­tes ?

Problématique qui a précisément donné lieu à une publication sur le Carnet de recherches du Laboratoire Junior (« Réflexion autour des normes et valeurs de la vieillesse » publié par Julie Henry le 06/03/2011). La même problématique, saisie à partir du cas complexe qu’est le handicap, a fait l’objet de la conférence de Pierre Ancet, invité par le Laboratoire Junior.

MINKOWSY, Eugène, « La notion de perte de contact vital avec la réalité et ses applications en psychopathologie », in Au-delà du rationalisme morbide, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 50

« Ce qui distingue un aliment d’un excrément ce n’est pas une réalité physico-chimique, c’est une valeur biologique. » (CANGUILHEM, Georges, Le Normal et le pathologique, op.cit. p.148).