EHVI
 

Axe 1 : « Mouvement et corps vivant »

L’enquête sur l’homme vivant passe par l’inter­pré­ta­tion (y com­pris objec­tive, comme dans la modé­li­sa­tion) de tous ces gestes fonc­tion­nels et inten­tion­nels qui ne sont pas réduc­ti­bles à une com­po­si­tion de mou­ve­ments phy­si­ques. Parce que l’orga­ni­sa­tion du corps humain repose sur des normes (que l’acti­vité vitale de ce corps modi­fie, détourne et sub­ver­tit), il est impos­si­ble de conce­voir cet orga­nisme indé­pen­dam­ment de son inte­rac­tion avec le milieu : le sys­tème phy­sio­lo­gi­que est ouvert, et l’homéo­sta­sie le cons­ti­tuant vise à main­te­nir un équilibre en deve­nir.

Pour nous, cela signi­fie qu’une étude bio­mé­ca­ni­que ne peut pré­ten­dre épuiser le phé­no­mène du mou­ve­ment cor­po­rel : la direc­tion (axio­lo­gi­que) qui oriente et pola­rise le geste pro­pre­ment dit relève, dès sa com­pré­hen­sion phy­sio­lo­gi­que, d’une signi­fi­ca­tion inten­tion­nelle jus­ti­cia­ble d’un débat inter­pré­ta­tif.

Plus par­ti­cu­liè­re­ment, com­ment le dan­seur réin­vente-t-il les fonc­tions motri­ces (équilibre, coor­di­na­tion, per­cep­tion) quand il pra­ti­que son art à même son corps ? Qu’est-ce que le musi­cien va cher­cher au fond de sa vita­lité lorsqu’il se laisse porter par un rythme lors d’une impro­vi­sa­tion : com­ment son corps réin­vente-t-il son ins­crip­tion tem­po­relle lorsqu’en-deçà de la cons­cience intel­lec­tuelle, c’est lui qui fixe les repè­res de syn­chro­ni­sa­tion ? Que signi­fie, au fond, l’expres­sion « spec­ta­cle vivant » en termes de rela­tion entre l’inter­prète et son public ? S’il n’est pas anodin qu’il faille « se sentir bêtes » (et non seu­le­ment anges) pour faire de la bio­lo­gie1 – com­ment n’en irait-il pas à plus forte raison quand il s’agit de faire une oeuvre d’art des mou­ve­ments de son propre corps ?

CANGUILHEM, Georges, « La pensée et le vivant », La Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1992, p.16