Mi-juin 2010
Vers une biologie philosophique… Ou une philosophie biologique ? Afin d’explorer les représentations de l’homme vivant des différents membres du labo Junior, selon leur champ disciplinaire mais aussi leurs convictions individuelles, nous vous proposons de confronter nos différents points de vue sur une capacité cognitive souvent présentée comme spécificité humaine : la conscience.
Les progrès majeurs des neurosciences des 50 dernières années ont révolutionné notre vision du fonctionnement des neurones et de leur intégration au sein du cerveau. Pourtant, si des fonctions cognitives simples, comme la vision , peuvent être expliquées par des modèles cellulaires, les savoirs actuels en biologie peinent toujours à expliquer ce qu’est la conscience.
Manque de connaissance qui sera comblé par les recherches futures ? Ou existe-t-il un problème plus profond dans la manière et les outils employés par la biologie pour expliquer la conscience ? Ou pire : cette question relève-t-elle même du champ de la biologie ?
La solution viendra-t-elle alors d’une touche de « philosophie » dans les modèles biologiques ? Avec l’essor de nouvelles branches de la biologie comme les sciences cognitives, et l’apport des savoirs issus des sciences humaines et sociales, que peut apporter une approche transdisciplinaire sur la question de la conscience ?
La conscience est une capacité cognitive souvent présentée comme spécifiquement humaine. L’enjeu de cette séance était alors de montrer, à partir de présentations de Guillaume et de Florence, comment les éthologues et les neurologues travaillent sur cette question, quelles expérimentations ils mettent en place à ce sujet, comment ils caractérisent cette capacité cognitive, et ce qu’ils en disent – ou n’en disent pas…
Le premier exercice a consisté à repérer les différentes caractérisations de la conscience, en d’autres termes, ce qui est expérimenté puis évoqué dans les articles scientifiques et qui peut être rangé sous cette catégorie : conscience de groupe, conscience sociale, état d’éveil, états mentaux et leur perception, conscience de soi…
Guillaume, qui s’est attaché pour sa part à la conscience comme reconnaissance de soi en tant qu’individu, noua a alors présenté des expériences scientifiques qui avaient été menées dans les années 1970 sur des chimpanzés : après avoir habitué ces derniers à la présence de miroirs, on leur a fait une tâche sur le front sous anesthésie : celle-ci avait ainsi pour objectif de faire que les chimpanzés n’aient pas de sensation tactile d’une intervention sur leur front, afin de pouvoir isoler la réaction qu’ils avaient à partir de la seule perception dans un miroir de leur reflet. On a pu alors observer que les singes, confrontés à leur image sur le miroir, portaient la main à leur front, à l’endroit où on avait apposé une marque, et qu’ils utilisaient le miroir pour explorer des parties de leur corps qu’ils ne peuvent pas voir. Ces expériences ont été menées principalement chez des grands singes : chimpanzés, bonobos, orang-outan.
Pour information et comparaison, cette faculté de reconnaître sa propre image dans un miroir (c’est-à-dire 1°/ de reconnaître le reflet comme étant celui de quelqu’un et 2°/ de le reconnaître comme étant le sien) a également été testée chez les enfants : selon ces études, 42 % des enfants se reconnaissent dans un miroir à 18 mois, 63 % à 21 mois. C’est donc une faculté qui n’est pas innée, mais qui émerge progressivement chez l’homme.
Enfin, des expériences ont été menées auprès de dauphins et d’orques. Pour les dauphins, le protocole est différent de celui appliqué aux singes (Reiss and Mariano 2000, voir en pièce jointe). Les animaux sont tamponnés soit avec une encre indélébile soit avec une encre labile dans l’eau, dans tous les cas, ils sentent le marquage car ne peuvent pas être anesthésiés. Les bassins des dauphins sont équipés de miroirs qui peuvent être retirés. Trois paramètres sont pris en compte. (i) La réaction du dauphin à son reflet : quand le dauphin est devant un miroir il a un comportement exploratoire (il tourne sur lui-même, bouge la tête, met la partie de son corps marquée en évidence devant le miroir, regarde la marque) et non social (communication avec le reflet ou posture sexuelle). (ii) Le temps passé devant l’emplacement du miroir est significativement plus long quand les animaux sont marqués avec une encre indélébile et le miroir en place que comparé a tous les autres cas de figure (et un animal marqué passe moins de temps à un l’emplacement sans miroir qu’un animal non-marqué à l’emplacement avec miroir, ce qui laisse indiquer que le dauphin est intéressé par le miroir indépendamment de la marque). (iii) Le temps que met le dauphin pour aller se placer devant un miroir après avoir été marqué (faux ou vrai marquage) est significativement plus cours chez un dauphin ayant déjà été marqué que lors d’un premier marquage indiquant qu’il a compris qu’il a peut-être été marqué. Ces résultats sont ceux attendu d’un animal ayant conscience de soi dans la définition « limite de son propre corps ».
Pour lire en détail de compte-rendu de ces expériences :
On peut cependant relever comme limites de ces expériences scientifiques, et donc des conclusions que l’on peut en tirer : le fait que la conscience soit ici réduite à la seule reconnaissance de son propre corps : c’est là le seul élément qui est testé et avéré dans ces recherches / le fait que ces expériences aient seulement été menées sur quelques individus / le fait que ces recherches et ces thématiques n’aient pas encore donné lieu à beaucoup de papiers scientifiques.
Cette présentation a alors donné lieu à un ensemble de questions et de remarques, qui, pour certaines, ont été discutées dans la suite de la séance, et pour d’autres, sont restées en suspens (peut-être seront-elles reprises dans la seconde séance sur ce thème, qui aura lieu courant mars ou début avril 2011) :